Guiberteau, Guiberteau… Le nom est sur les lèvres de tous les pointus du vignoble, de tous les dingues de chenin et de cabernet franc. Guiberteau, Guiberteau, oui, ça se sait, on dit que Guiberteau, c’est aussi bon que Rougeard. Non ? Si, bien sûr, pas loin en tous cas, et du Rougeard, de toute façon, on n’en trouve plus, et puis Bouygues est passé par là, alors, qu’est-ce que ça peut faire, on s’en fiche, de Rougeard, non ? Si certainement, on s’en fiche, on a Guiberteau sous la main. Guiberteau, Guiberteau, tu as déjà goûté ? Oui, oui, y pas longtemps, un peu jeune, un peu dur, pas commode, le cabernet, là. Ah bon ? Du fruit, j’ai eu du fruit, moi, et du bon, hein, du pur. Du frais, du ciselé. C’est peut-être ça, non ? Oui, du ciselé, tu as raison. Moi, ce dont je me souviens, c’est ce velouté, cette vieille, oh quoi ?, dix ans d’âge, cette bouteille incroyable, les Motelles, je crois, ah oui, un 2008. Oui, Rougeard pouvait aller se recoucher, ou presque, c’est bon, Rougeard, faut pas déconner. Elle m’a marqué, cette bouteille de Guiberteau. Tu sais, on en déguste beaucoup, quand même, des quilles. Alors, celles qui te restent en tête… Romain J’ai un souvenir, aussi, de Romain. Romain Guiberteau, le patron. Un bonhomme, le gars. Une bonne grosse quarantaine maintenant qui louche vers la cinquantaine. Un pince-sans-rire, dans la grande tradition française, façon Tontons Flingueurs, tu vois le genre. Une gueule de foutage de gueule. Caustique, tranchant, et drôle, drôle ! Un mec de conviction, aussi. Il avait débarqué à Bruxelles le jour où Abdelslam se baladait avec une kalach dans la ville. Dégust’ annulée, évidemment, la capitale était bouclée. Ça l’a bien emmerdé, ça, Romain. Il a dit qu’il reviendrait l’année suivante, à la même date. Bon, les vignerons, ça cause, on écoute poliment, ça fait plaisir mais, quoi, l’eau peut couler sous les ponts, on verra bien l’année prochaine. Eh bien, il a rappelé quatre fois, Romain. Vous notez, les gars, vous notez, je serai là. Et oui, il était là. Aussi droit que ses vins. On aime ça, aux Vents d’Anges, y a pas, on aime ça. Le pinard Et puis bon, si on causait pinard ? Romain, il dirige le vieux domaine de la famille depuis 96, pas loin de Saumur, pas loin du plus beau fleuve du monde. Le patelin s’appelle Saint-Just-sur-Dive. La Dive, c’est un affluent, pas la dive comme vous pensez, non. 17 hectares et deux raisins. En bio depuis une quinzaine d’années. Du cabernet franc, je vous ai déjà dit ? Et du chenin, ça non. Dans les deux cas, Romain, il fait des vins comme des missiles, ils tracent, rectilignes, dans le firmament. Tu prends les saumurs génériques, c’est déjà du grand art. On dirait une quintessence de vin, aucun artifice, du jus tout pur, tout net, du fruit, rouge évidemment, ou du citron, des infusions pour les blancs. Ou mille autres choses. Les mille autres choses, c’est surtout quand tu découvres les cuvées de terroir. Parce que bon, là, y a des noms qui évoquent la légende de Saumur, quoi. Brézé, le Clos de Guichaux, les Arboises… Du bois, un peu, mais bien ajusté, pas de la décoction. Pour l’ampleur, pour la garde, le bois. Pour la complexité, si on veut. Pas pour les Américains. Ben oui, la garde ! Evidemment, la garde ! Les grands cabernets, les grands chenins, faut les garder ! Parce que, dans le temps, l’ami, dans le temps, ils deviennent majestueux. Ils trouvent tout leur sens, ils sont nés pour ça, les vins. Tu peux les boire jeunes, tu prends une caisse de 12 et, disons, tu en bois deux tout de suite, puis deux dans cinq ans, et le reste dans dix ans, minimum. C’est du vin ! Un liquide d’éternité, qui crée sa propre histoire. Et dans les craies de Saumur, dans les caves immuables, l’éternité, l’Histoire, ce ne sont pas des mots de rigolo. Romain te le dira, lui. Cette année ou l’année prochaine.